top of page

 

 

Pablo Picasso (1881-1973) est un des chefs de file du mouvement cubiste et est également considéré comme l’un des grands génies artistiques du XXe siècle, voire de l’histoire. Dès son enfance, il affirme de façon très directe sa relation avec les animaux, dont il aime s’entourer, et qui lui permettent de trouver un équilibre entre sa sensibilité et son intelligence rationnelle. Cet amour passion se retrouve dans son œuvre au bestiaire très riche, dont la figure la plus célèbre est le taureau. Toutefois, nous nous intéresserons ici à celle qui lui est souvent associée en pendant : le cheval, ainsi que ses diverses symboliques.

 

Un animal du quotidien

 

La fin du XIXe et le début du XXe siècle sont marqués par les avancées scientifiques et technologiques (locomotive, voiture…). Mais les animaux restent la principale source d’énergie. Ainsi, à l’instar du bœuf, le cheval est utilisé pour le labour et la tractation de charges (par exemple, les chariots des mines ou des maraîchers). Ayant passé les dix premières années de vie dans le village de Malaga, puis dans les quartiers populaires de Barcelone, Pablo Picasso évolue donc dans un contact constant avec cet animal (il réalise, au printemps 1898, une série de dessins représentant des chevaux dans des attitudes diverses, au marché d’El Born et à la gare de France). Il est aussi un moyen de transport aussi bien civil que militaire. D’ailleurs, il est fortement probable que les premières études de Picasso sur cet animal aient été motivées par un futur voyage à Horta de Ebro (en montagne) avec son ami Manuel Pallarès. Il réalise également, lors de son premier séjour à Paris (en automne 1900) son Deux têtes de cocher et une tête de cheval (où il met en contraste les visages boursoufflés et rougeauds des deux hommes et le mélange de noblesse et de tristesse de l’animal). Tous ces éléments en font un élément indissociable des paysages urbains et ruraux (Trois chevaux au bord de la mer, 30 déc 1920, dessin au crayon lithographique ou Cheval fatigué, 7 fév 1936.

 

Un animal de spectacle

 

Les chevaux sont aussi une source de divertissement. Ainsi, dans les jeux de cartes espagnols, le cheval d’or correspond à notre valet de cœur. Il devient également le compagnon des jeunes enfants sous une forme miniaturisée : le jouet (figurine, cheval à bascule ou à roulette…). Cette apparition, plus tendre, est parfaitement illustrée dans la série Enfants et jouets, débutée en 1901, ou encore dans les deux projets de timbales de baptême qu’il envisage pour son fils, Paulo (né en 1921, d’Olga Kokhlova).Pourtant elle revêt une toute autre symbolique dans les quatre Composition au cheval à bascule (encre de Chine et crayon), réalisées en 1926. L’artiste représente Paulo, âgé de cinq ans, dans l’intérieur bourgeois de leur appartement, rue de la Béotie. Celui chevauche son jouet, qui semble enfler, prêt à bondir hors du salon, voire du cadre de l’œuvre. Il s’agit du reflet du désir de liberté, d’indépendance de Picasso, qui souhaite échapper au monde de mondanités que lui impose sa condition d’époux et de père.                   

                

Le cheval est également un loisir à l’état « naturel ».

 

L’Espagne est un pays où ces animaux sont très populaires, et nombreuses sont les manifestations auxquelles ils participent (par exemple la rua, en février, qui est un défilé de chars et de chevaux aux riches couleurs). Ainsi en 1902, lors des fêtes de la Vierge de la Merci (patronne de la ville), l’artiste croque un couple de participants (une femme avec son bébé, en amazone sur une monture au harnais emplumé au niveau des yeux, et son homme en costume traditionnel tenant la bride). Vraisemblablement réalisé sur le vif, il s’agit plus d’un dessin journalistique (un d’entre eux fait la une d’El Liberal) que d’un dessin poussé.   Dans sa jeunesse, il se plaît à dessiner des joutes médiévales, thème qu’il reprendra à partir des années 1950, lui attribuant une valeur caricaturale, voire humoristique. Il aime également les courses et autres sports équestres. Ainsi il réalisé lors de son premier séjour à Paris quelques vues de courses, ainsi que, tout au long de sa carrière, des portraits de jockey, de joueur de polo…

 

Dans la catégorie des spectacles équestres (c’est pour ces animaux que sa célèbre piste a été conçue),le cirque est un thème très apprécié de Picasso. Sujet artistique contemporain (objet d’attention pour les peintres depuis les années 1875-1880 puis exercice de peinture vers 1910 de par la diversité de formes, de couleurs, de compositions…), il est une représentation de la modernité et une invitation au rêve, au fantasme. Œuvre emblématique de ce thème, Parade exprime la joie d’être père

 

La corrida est le thème picassien par excellence (il laissera aussi de nombreux écrits sur le sujet, témoignant de sa violence et de sa cruauté, reprochant néanmoins aux corridas françaises d’être des parodies, ce dont il témoignera dans son Corrida au picador en armure en 1951). Qu’il considère comme une liturgie, un rite sacrificiel faisant écho au mystère mithriaque. Initié à ce type de loisirs dès son plus jeune âge par son père (dont la symbolique s’imprègne dans les divers sujets), l’artiste grandit avec pour idole José Sanchez del Campo dit Cara Ancha (1848-1925), un des plus grands toreros, célèbre pour s’être mis à genoux pour toréer (il est d’ailleurs le premier à avoir réalisé cette prouesse). Cette passion est telle qu’il rêve de devenir cavalier ou picador. S’il est vrai que le taureau est l’animal clé de la corrida, le cheval en est aussi acteur car monture des picadors (héros qu’il représente dans ses premières peintures, vers 1890, gravure, en 1899, et sculpture en 1903). On remarque qu’il existe plusieurs types de chevaux dans les œuvres (même les plus précoces) de Picasso. Un des plus surprenants est le cheval victime. En effet, ces derniers étaient souvent considérés comme accessoires (choisis parmi les moins beaux et les moins vigoureux), et finissaient souvent blessés ou tués (ce qui semblait beaucoup affecter l’artiste comme en témoigne certains de ses écrits) ; ainsi on découvre des dessins de l’enfant représentant des bêtes blessées, agonisantes ou mortes dans l’arène, voire évacuées par le train d’arrastre (enlèvement des cadavres par un attelage de mules ou de chevaux). D’autres témoignent de l’utilisation du caparaçon (un ensemble matelassé avec de la toile de jute, de la ouate, le tout fixé par des sangles de cuir, destiné à protéger le cheval, allant du poitrail au sol). Celui-ci est d’abord adopté en France en 1926, puis imposé en Espagne par décret le 7 février 1928 (Picasso et ses semblables considèrent cette mesure comme exagérée, voire dommageable pour le spectacle). Dans les années trente, celui-ci persiste dans la représentation de chevaux éventrés par le taureau

 

Un animal érotique

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la corrida, dans l’œuvre picassienne, est aussi un univers de sensualité. Parfois celui se trouve dans le public (en effet, dès son plus âge, l’artiste se plait à croquer ou peindre les élégantes présentes dans l’assistance, comme nous le montre son Petit picador de 1889). Mais, c’est principalement le spectacle lui-même qui en est empreint. Les joutes, quasi-amoureuses vers 1921, deviennent de véritables bain de sang dans les années 1930. C’est à cette époque que Picasso rencontre la jeune Marie-Thérèse Walter, qui devient sa maîtresse, puis sa femme. Une dimension érotico-mortifère entoure alors le couple taureau-cheval ainsi que trio qu’il forme avec le torero, qui se révèle généralement être une femme (Marie-Thérèse en femme torero, 20 juin 1934). Le bovin, double de l’artiste, porte sur son dos le corps d’un homme, vêtu, ou d’une femme, dont la tenue déchirée et l’évanouissement suggèrent qu’elle a été forcée (Femme, taureau, cheval, 14 avril 1935) ou encore attaque un cheval dont il ouvre les entrailles (symbole éminemment féminin, puisque la blessure rappelle la forme d’une vulve, et le sang, ou autre détail de couleur rouge, évoque soit les menstruations soit la virginité) ; parfois, une jeune femme tenant une bougie se tient à leurs côtés (Femme à la bougie : combat entre le taureau et le cheval, 24 juillet 1934).

 

Le dialogue taureau-cheval se retrouve dans de nombreux thèmes et l’érotisme sacré prend une symbolique bien plus importante dans le cadre de la mythologie. Trois mythes illustrent ce principe (bien qu’ils soient plus des prétextes que de véritables sujets) : le Minotaure, l’enlèvement d’Europe et les amours de Pasiphaé. Le choix de ces récits n’est pas anodin, il forme un arbre généalogique : Europe est la mère du roi de Crète, Minos, et donc belle-mère de Pasiphaé qui, suite à son accouplement avec un taureau, enfante le Minotaure. Symbole de bestialité et de voracité, il permet de reprendre le motif du cheval éventré.

 

Le cheval et la personne qui le chevauche forme également un couple érotique. Picasso, grand amateur de cirque et de maisons closes, fait volontairement l’amalgame entre prostituées et écuyère, occasionnant ainsi une érotisation de la monture (L’Ecuyère de cirque avec Vénus de foire dans sa coquille et deux hommes barbus, 11 décembre 1966, …). Cette relation permet ainsi des allusions à l’Antiquité par le type de représentation (par exemple, le portrait équestre) ou l’évocation des amours bestiaux de certains mythes (notamment celui de Pasiphaé), comme le montre Scène de théâtre : amazone, Vénus de foire et homme au bouquet daté du 5 décembre 1966.

 

Si généralement le cheval est en position de soumission dans ces différents couples, il existe quelques œuvres où celui-ci revêt les mêmes caractéristiques que le taureau, adoptant le rôle de dominant.  Ainsi dans l’eau-forte sur cuivre Souvenirs. Espagne. Avec femme pâmée sur cheval amoureux (7 juin 1971), le cheval est doublement en érection (queue et sexe dressés), et porte une jeune femme nue aux bas noirs, allongée sur son dos (comme pour les taureaux et toreros) et amoureusement offerte, les jambes placées de part et d’autre de la queue de l’animal. Le petit collier de velours noir qu’elle porte autour du cou permet de l’identifier comme une prostituée. On remarque une ressemblance avec l’attitude et le physique de Marie-Thérèse Walter dans les représentations de corridas. A côté d’eux, un hidalgo et une autre prostituée (reconnaissable à sa tenue légère) observe la scène. Ici, le cheval devient le substitut phallique de l’homme, voyeur et impuissant. Thème récurrent dans les dernières années de Picasso, il devient le symbole d’une virilité triomphante (la figure ultime étant le centaure) et sublime l’érotisme féminin.

 

Les symboles phalliques ne sont pas seulement liés à l’érotisme. Dans sa Tête de cheval de 1962, l’animal grimaçant et mortifère est renforcé par la présence d’une dague (phallus et arme), soulignant la guerre comme une affaire d’homme.

 

 Cheval de paix et cheval de mort

 

Au sortir de la seconde Guerre mondiale et de la Guerre d’Espagne (1952), Picasso ressent la nécessité de soutenir le mouvement pacifiste et accepte le projet de décoration de la chapelle désaffectée de Vallauris, qu’il divise en deux panneaux : celui de la Paix et celui de la Guerre, où l’on retrouve respectivement un cheval ailé conduit par un enfant avec au-dessus d’eux une forme ronde hérissée d’épis de blé et des chevaux de corbillard tirant un char conduit par un monstre. Cette œuvre est considérée comme le témoignage de l’espoir d’une génération qui a désormais droit de se livrer à l’insouciance du jeu et de l’amour.

 

Bien que la violence et la cruauté le dégoûtent, Picasso semble manifester un certain intérêt pour les batailles et ce dès sa plus tendre enfance. En 1893, il se crée une revue : Azul y Blanco (dont le 1er numéro date du 8 octobre) ; dans le quatrième numéro (1895), on retrouve quelques croquis d’inspiration militaire et notamment un cheval cabré. Dans son premier album de dessins (1er fév-20 sept 1894), une des premières œuvres est un soldat à cheval. D’autres dessins sont plus maîtrisés, et donc plus marquants. Le premier est la Bataille de Cavadonga (1895-1896) dont la source est probablement issue d’un manuel scolaire, car il s’agit d’un épisode de l’histoire espagnole. Viennent ensuite deux autres scènes (vers 1896), illustrant cette fois-ci un conflit contemporain : le conflit hispano-cubain (alors enfant, il en a probablement entendu parler à la radio ou par ses parents).  Plus explicites que les précédentes, ce sont les premières représentations de tueries dues à la guerre de Picasso (toutefois, le style reste encore enfantin, puisque l’on remarque la présence d’un petit diable cornu et ricanant).

 

Pourtant, bien qu’il ait fréquenté dès 1897 des milieux d’artistes sensibles aux préoccupations socialistes et à la violence des nombreux anarchistes, ce n’est que lorsque la guerre civile éclate que l’on constate la naissance d’une motivation politique. L’Espagne a pourtant déjà vécu le coup d’Etat du général Miguel de Primo Rivera en 1923 ou encore l’abdication et l’exil du roi Alphonse XIII suite à l’arrivée des républicains au pouvoir, marquant ainsi le début de la seconde République (1930). Les 8 et 9 janvier 1937, il grave donc Sueño y mentira de Franco (Songe et mensonge de Franco), qui constitue un violent réquisitoire contre le fascisme, inspiré par le témoignage de José Bergamin, poète et ami, sur les bombardements de Madrid en novembre 1936. L’œuvre s’inscrit dans un format proche de la bande-dessinée et, complétée par un féroce et caustique poème écrit entre le15 et le 18 juin, nous narre les aventures de Franco (nommé généralissime par junte de Burgos), représenté comme un monstre polymorphe (chevalier, maja, iconoclaste, évêque…) chevauchant un destrier aux mêmes propriétés (phallus, cochon…). Les allusions à la mort sont signifiées par une mère tenant le cadavre de son enfant, un cavalier écrasé sous sa monture et la réapparition du cheval éventré (cette fois-ci par le monstre). Un autre évènement marquera profondément la pensée de Picasso : le bombardement d’une petite ville basque. A l’aube du 26 avril 1937, Guernica est attaquée par la Légion Condor (soit l’ensemble des forces allemandes sur le sol espagnol). Ceux qui s’en révoltent voient de lourdes menaces pesées sur eux. Lorsqu’il apprend la nouvelle, à Paris, le 27 avril au soir (l’agence Havas ayant décidé de ne pas transmettre l’information), Picasso, qui avait accepté une commande du gouvernement de la République (une composition qui devait orner le pavillon espagnol lors de l’Exposition internationale à Paris), abandonne le projet pour se plonger dans la réalisation d’une œuvre contestataire. Nous connaissons les différents états de ce tableau grâce aux photographies de Dona Maar et de nombreuses esquisses et études préparatoires nous sont restées, dont la première, datée du 1er mai de la même année : une femme ayant les traits de Marie-Thérèse Walter, un cheval et un taureau. Si la figure féminine ne subit aucune modification jusqu’à la composition finale, il est loin d’en être de même pour le couple animal, bientôt accompagnés de détails et figures destinées à exprimer l’horreur des victimes. L’une des plus significatives consiste dans la présence d’un petit cheval ailé ; dans un premier temps, celui-ci semble chevaucher le taureau, comme un cavalier sur une selle (il paraît également le calmer ou le guider), puis, plus tard, il s’échappe du ventre d’un cheval mourant (comme une âme) pour finalement être supprimé de la composition car considéré comme connotation mythologique trop anecdotique pour un tel évènement.

 

Une série d’une autre « bataille » (dans les années 1960) peut s’inscrire dans la lignée des œuvres précédemment citées : l’Enlèvement des Sabines (le choix de ce sujet chez Picasso s’inscrit d’ailleurs dans le cadre de la crise de Cuba)                                     

    

Le cheval est une figure singulière de l’œuvre de Picasso, car, généralement, il est soit absent de son bestiaire, soit associé au taureau.

 

Pourtant, il serait erroné de dire qu’il a été négligé, car, non seulement, il égale voire surpasse son alter ego (le taureau est le plus souvent attaché à la corrida, tandis que le cheval est présent dans de nombreux thèmes), mais il est aussi une représentation de la vie mouvementée de l’artiste (les représentations du cheval en plénitude sont plutôt rares), durant laquelle il a endossé de nombreuses symboliques, et souvent une valeur humoristique (par la caricature)

 

On peut aussi envisager le fait que Picasso n’avait pas réellement conscience de ces dernières, car, selon certains spécialistes, l’artiste n’aurait jamais reconnu la représentation de l’animal comme valeur iconographique, affirmant qu’il s’agissait d’un choix purement esthétique.

Picasso et le Cheval

cheval 4
CHEVAL 9
CHEVAL 10
cheval 7
chevAL 8
cheval 6
cheval 5
cheval 4
cheval 1
cheval 2

© 2016 por Connexion Espagne. Creado con Wix.com 

  • Facebook Clean
  • Twitter Clean
bottom of page